Aujourd’hui j’aimerai vous présenter un exemple de pollution visuelle par les banques d’images. Vous connaissez sans doute ces gros sites d’archives iconographiques où l’on peut acheter pas cher des images « sexy » et « tendances ». A l’origine ces photos de gens souriants aux dents blanches étaient destinés à la pub mais à partir des années 90, elles ont commencées à envahir la presse.
Le droit à l’image était alors de plus en plus utilisé par des gens se reconnaissant sur des photos de reportage, ils attaquaient les magazines pour obtenir des dédommagements financiers. Par peur des procès et aussi de plus en plus par paresse et soucis d’économies les photos d’illustrations « low cost » ont remplacées les photojournalistes en une des hebdos news.
La crise de la presse et des agences de photojournalismes à partir des années 2000 a accentué ce phénomène et augmenté pour le public la confusion entre images d’auteurs et images fabriquées industriellement. Par exemple de grandes agences comme Gamma et Rapho ont fait faillite et sont maintenant intégrées dans une banque d’image. On trouve sur le même site des monuments de la photo comme Robert Doisneau, Edouart Boubat au même niveau que des photos de chatons ou de cadres dynamiques qui sautent de joie à la signature d’un contrat.
Pour les lecteurs qui n’ont pas d’éducation à la critique de l’image quel est le résultat ? Une représentation du monde standardisée, aseptisée où toute aspérité est gommée.
Cette marrée noire visuelle a ensuite attaquée le monde militant. Les grands partis étaient depuis les années 80 a fond dans la « com » mais à la gauche de la gauche une certaine culture visuelle résistait, l’héritage des Grapus, de toutes les expériences de mai 68 en faisait encore un milieu exigeant en matière d’images.
J’en viens donc à mon exemple du jour, puisqu’il concerne le Front de gauche, lui aussi touché par cette dérive. L’année dernière sortait L’humain d’abord, le programme du Front de gauche pour les élections présidentielles. Et quelle image a été choisie pour la couverture ? Un visuel de chez Getty, une des multinationales de l’image.
En regardant le crédit on peut facilement la retrouver sur leur site. On y apprend qu’il s’agit d’une photo d’une foule à un concert (lequel ? ce n’est pas précisé). Elle est indexée avec les mots clés : « personne humaine, bonheur, plaisir, grand groupe de personnes »… et aussi « Bandeau anti-transpiration pour poignet » ! Au niveau tarif la haute def de l’image à la taille d’un livre de poche est facturée 215 euros. On imagine le brainstorming terrible des créatifs qui ont pondus ça, bon coco il nous faut de l’humain, du positif, du collectif, tu comprends c’est pour ces idéalistes du Front de gauche, et hop c’est magique on tape ces mots clés chez Getty et l’image parfaite apparaît, pas chère en plus ! Et pour leur faire plaisir on va rajouter un beau petit fond rouge, eh ouais le client aime bien le rouge, et le client est roi.
Eh ouais sauf que l’inconvénient avec la banque d’image c’est que t’es pas le seul pigeon à te faire avoir, il y en a un paquet de DA qui tapent les mots « humain, positif, collectif, etc.» et donc il y a de grandes chances que la belle image que t’as trouvée elle serve au même moment à vendre une lessive ou un 4×4… En l’occurrence là c’était pour la fondation Chirac, et oui pas vraiment la même boutique mais toujours la même paresse visuelle, sauf que – on se demande bien pourquoi – le rouge a cédé la place au bleu.