La fête du graphisme s’est achevée le mois dernier, c’était la première fois que ce tenait à Paris une manifestation de cette ampleur consacré à cette discipline. On a eu droit à une profusion d’évènements et d’expositions, avec plein de belles choses mais aussi pas mal de poudre aux yeux et quelques confusions conceptuelles. Un petit retour sur ces festivités graphiques s’imposait.
Exercices de styles
Passons sur la calamiteuse affiche de Jean-paul Goude qui a déjà été abondamment commentées dans de nombreux blogs. Commençons par le « Libé des graphistes » du 24 janvier, ça m’a paru plus ressembler à un catalogue de papier peint qui pique les yeux plutôt qu’à un vrai travail de création graphique en lien avec l’information. Ça ne donnait pas une image très valorisante du graphisme, les graphistes invités avaient tous le même espace (le tiers supérieur de la page) et ils devaient jouer avec le losange rouge de libé.
Au final ça donne un exercice de style assez vain ou il n’y a rien sur le fond, à aucun moment les visuels proposés entre en relation avec le contenu du journal. Les graphistes sont justes là pour la déco, ils ont fait de leur mieux mais ils n’ont fait que répondre à une commande mal ficelée dès le départ. Quand Libé invite des dessinateurs de BD à faire le journal à l’occasion d’Angoulême c’est beaucoup plus réussi. Ils arrivent à interagir avec les textes, il y a du style et du sens aussi. Je ne comprends pas pourquoi on a pas donné la même liberté aux graphistes.
Autre exercice de style contraint : la série d’affiches « Célébrer Paris » qui a été affichée pendant 6 semaines sur les abri-bus parisiens. Quarante graphistes ont été invité à créer une affiche célébrant Paris, selon le catalogue : « tous ont une vision originale de la capitale, au-delà des archétypes, des clichés, des tropismes ou des symboles récurrents « .
Waouh quand on voit ces affiches effectivement on est loin des archétypes ! La tour Eiffel, la baguette, le french cancan il fallait effectivement y penser, quels symboles originaux pour parler de la capitale ! Par contre je suis déçu, aucun des 40 graphistes n’a utilisé le béret ou l’accordéon. La palme de la paresse revient à Mariscal, une vague tour Eiffel et quelques taches de couleurs et on a un « Paris by night » bien moche. Et la palme du kitch à Kari Piippo avec son caniche blanc perruqué, cliché de l’animal de compagnie « chic » de la bourgeoise parisienne.
Heureusement dans les 40 il y a eu quelques créations originales, en voilà 3 exemples
A noter Leonardo Sonnoli est le seul qui soit sorti d’une vision patrimoniale et carte postale de la capitale en évoquant le sort des SDF à Paris. Il utilise de façon poétique des empreintes des plaques d’égouts parisiennes. Donc à part quelques exceptions l’ensemble du projet « Célébrer Paris » donne une piètre image de la création graphique contemporaine : une série d’images convenus sur Paris. Je ne met pas en cause la qualité des graphistes choisis pour ce projet, la plupart sont des grands artistes reconnus internationalement c’est plutôt les commanditaires qui sont à blâmer dans cette histoire. En donnant un cadre trop lisse et trop propre à cette commande sur Paris on ne pouvait pas s’attendre à des images révolutionnaires.
Des belles découvertes
L’évènement le plus marquant de cette première fête du graphisme a été la grande exposition organisée à la cité de la mode et du design. Elle était divisée en trois parties : un panorama des jeunes graphistes français, 150 affiches underground américaines et « Paris invite le monde » une sélection de graphistes des cinq continents. C’était à mon sens l’événement le plus réussi de la fête, l’accrochage était simple et efficace et fonctionnait bien dans ce lieux brut de décoffrage. La présentation mélangeait intelligemment des talents confirmés et des jeunes graphistes. Ça a été l’occasion de faire de très belles découvertes et aussi de revoir des classiques du graphisme.
Dans la partie sur les D’jeuns il y avait plein de créations stimulantes, j’apprécie particulièrement la série d’affiches de Pierre Jeanneau pour le théâtre de Belleville, minimaliste et percutante avec un superbe travail sur la typo. Les affiches réalisées par Julian Legendre à base de papier découpés sont très réussies aussi. Il y avait plein d’autres pépites graphiques notamment de l’atelier Formes Vives, de Dugudus, d’arrache toi un œil, entre autres. Je n’ai malheureusement pas pu assister aux soirées consacrées aux créations multimédias et aux génériques de films à la gaité Lyrique et au MK2 bibliothèque qui s’annonçaient passionnantes. Ce qui était intéressant aussi dans ce panorama de la jeune création made in France c’est de montrer la variété des supports sur lesquels les graphistes interviennent et pas seulement l’affiche qui est trop souvent le seul support consacré et valorisé dans les expos sur le graphisme. Je regrette toutefois l’absence quasi totale d’illustrateurs dans la sélection (à part Séverin Millet), qui reste un genre assez méprisé dans la profession.
Ensuite venait la partie sur les « Gig posters », ce sont des affiches de concerts rocks plus ou moins underground et imprimées en sérigraphie. Certaines sont autoproduites par ces graphistes d’autres sont commandées par les salles de concert ou par les musiciens eux-mêmes.
J’ai eu le plaisir de retrouver dans cette sélection les images d’Emek, un artiste dont j’apprécie le boulot depuis longtemps. Il reprend à sa manière l’héritage des affiches psychédéliques des 70′s. Son travail le plus marquant, à mon sens, est le compagnonnage graphique qu’il entretient depuis plusieurs années avec la chanteuse de soul Erykah Badu. Avec des couvertures de CD, des affiches, des scénographies de concerts, il a développé tout un univers graphique autour d’elle qui fonctionne très bien. Voilà une de ses créations qui n’était pas dans l’expo et un exemple de projection de ses images pendant un concert.
Après venait le gros morceau de l’exposition « Paris invite le monde », où étaient montrées 350 affiches du monde entier. Le projet mélange des classiques du graphisme et des nouveaux talents. L’ambition du projet était énorme, montrer un état des lieux de la création graphique à l’échelle mondiale était une gageure qui semblait irréaliste, pourtant le projet tient la route et se révèle riche de découvertes. Comme dans l’art contemporain, on note dans le graphisme une forte montée en puissance des « BRICS » (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) plus souvent appelés pays émergents. J’attendais avec curiosité de voir les œuvres des graphistes chinois, j’avoue que j’ai pas été emballé par leurs affiches. Je trouve qu’on reste dans une sorte d’ »orientalisme » facile dans ces choix, de la calligraphie, du bambou peint à l’encre de Chine, bref tout ce qu’on attend de l’art traditionnel chinois. L’affiche de Fang Chen avec un chaton pour protester contre la disparition des tigres est particulièrement mièvre.
Par contre j’ai pris une bonne claque avec les graphistes sud-coréens, notamment Ahn Sang-Soo qui a réalisé un travail typographique magnifique en redéssinant un alphabet traditionnel coréen. Et aussi Do-Hyung Kim qui présente des superbes affiches avec un raffinement dans l’impression qui nous rappelle l’intérêt de voir des affiches en vrai, Pinterest, et autres réseaux sociaux ne remplacent pas ce plaisir et c’est tant mieux.
Grande oubliée de ces pays émergents, L’Inde, plus d’un milliard d’habitants et aucune affiche… bizarre. Je connais mal les productions graphiques indiennes, mais ils ont plein d’artistes reconnus (photo, art contemporain, illustration, etc.). C’est étrange que les commissaires de cette expo n’aient rien trouvé à montrer pour ce grand pays.
Il faut aussi souligner d’autres zones grises, ce qu’on appelle le tiers monde n’est quasiment pas représenté. Tout le continent africain en particulier n’a aucun représentant à part 2 graphistes sud-africains. C’est dommages que les organisateurs de cet évènement ne soient pas allé défricher des découvertes dans ces pays surtout dans une ville comme Paris qui a des liens très forts avec l’Afrique. Du coup l’intitulé de l’expo « Paris invite le monde » paraît un peu exagéré.
Je termine le tour de cette expo avec la découverte d’un OVNI, le travail de Corita Kent. Il s’agit d’une artiste américaine au parcours atypique. Elle devient none à Los Angeles en 1936, à 18 ans, puis s’initie à l’art pendant ses études religieuses. Plus tard elle dirige le département artistique d’une université religieuse. En 1968 elle quitte les ordres pour se consacrer pleinement à la création. C’est l’époque de la contestation étudiante aux Etats-Unis contre la guerre du Viet-nam. « Sister » Corita va y participer pleinement en produisant des affiches en sérigraphie où se mêlent des références à la culture populaire américaine, des citations de la bible et un travail typo très original.
Qu’est-ce qu’un graphisme démocratique ?
L’emballage conceptuel de la fête du graphisme tenait autour de l’idée d’un graphisme démocratique. Ce slogan était décliné dans tous les textes sur cette fête et dans les interviews de Michel Bouvet sur ce sujet. Mais qu’est-ce que qu’un graphisme démocratique ? Dans le texte d’introduction du catalogue on nous explique que :
« Il est temps d’envisager la reconquête de la qualité de notre espace quotidien par les designers graphiques, de considérer qu’une page d’accueil, une application, un formulaire administratif, une étiquette de vin ou de soda, une enseigne ou un menu de restaurant, un titre de transport ou le marquage publicitaire d’un véhicule sont aussi importants et visibles, tous les jours, qu’une affiche de spectacle ou un catalogue d’exposition. Dans un environnement visuel où des images médiocres se télescopent, où la publicité commerciale envahit l’espace public et les écrans, la part confiée aux graphistes reste minoritaire. La véritable rencontre entre designers graphiques et commanditaires privés n’a pas encore eu lieu. Ce graphisme démocratique, à inventer ou à réinventer, invite, en France et dans le monde, à un véritable investissement visuel dans notre vie de tous les jours. C’est un enjeu mais aussi une demande du public en ce qui concerne la dégradation de son environnement quotidien. »
Donc pour résumer ce n’est pas la publicité qui est mauvaise en soi c’est le fait qu’elle ne soit pas confié à des designers graphiques qui la rend médiocre. Le jour où tout ce qui est communication passera entre les mains de ces designers le monde sera plus beau et donc meilleur. Si on suit cette logique, les panneaux de type Conforama, But, La Foirfouille qui défigurent l’entrée des villes, s’ils étaient faits par Batory, Le Quernec ou Bouvet, par exemple, tout irait bien ? La beauté se serait enfin réconcilié avec le commerce ? Si les CRS avaient leur identité graphique refaite par M et M, leur costume par Jean-Paul Gaultier et leur matraque par Starck, l’harmonie reviendrait sur terre ?
On voit bien les limites de cette vision, où le graphiste est juste un prestataire de services esthétiques. Pour moi le graphiste est d’abord un citoyen, engagé avec ses outils pour œuvrer à l’émancipation sociale. Il ne lutte pas pour améliorer la publicité, il lutte pour la supprimer. Il est plus du coté de l’éducation populaire que de la communication.
Un des exemple présenté dans l’exposition pour montrer l’alliance réussie entre le graphisme et le grand commerce est l’identité graphique des produits Monoprix. Il s’agit en effet d’un remarquable travail typographique, un jeu minimaliste avec des bandes de couleurs et une typo élégante permet de donner une identité forte à tout ces produits et immédiatement reconnaissable. Cependant tout ce talent est mis au service d’une entreprise qui exploite au ras du SMIC tout son petit personnel, majoritairement des femmes aux temps partiels subits. Et qui se permet des jeux de mots cyniques sur ses emballages, comme par exemple sur les paquets de tisanes verveine « L’infusion qui vous fait oublier qu’on ne vous a pas augmenté cette année ».
C’était en 2011 et les employés de cette chaîne de supérettes qui justement n’avaient pas été augmenté depuis très longtemps avaient moyennement apprécié la plaisanterie, ils s’étaient mis en grève. Il faut savoir qu’en 2011 une caissière chez Monoprix avec 15 ans d’ancienneté et travaillant 30 heures par semaine gagnait 850 euros par mois (L’Humanité du 17 janvier 2011). Suite à cette grève le personnel a obtenu des améliorations. Donc c’est ça le graphisme démocratique ? Etre complice du capitalisme le plus cynique en le rendant cool et branché ?
Cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer aux commandes privées, il y a des entreprises honnêtes qui cherchent tout simplement à améliorer la qualité visuelle de leur produits et les graphistes ont bien sûr un rôle à jouer dans ce cadre. Mais il faut rester lucide, la majorité des commandes publicitaires ont pour but de faire du profit et de bourrer le mou des consommateurs. Et si on collabore à ce système (parfois il faut bien mettre du beurre dans les épinards) il ne faut pas se leurrer en se disant qu’on contribue à démocratiser le graphisme, on fait un boulot alimentaire c’est tout.
Malgré ces critiques, je ne boude pas le plaisir que je j’ai eu en visitant cette exposition, et il faut continuer à valoriser notre profession avec ce type de manifestation avec peut-être moins de poudre aux yeux et de concept creux pour les prochaines éditions…